TEXTE
FLORIENT AZOULAY
ET
ÉLISABETH BOUCHAUD


MISE EN SCÈNE
XAVIER GALLAIS


ASSISTANTE MISE EN SCÈNE

SANDRINE DELSAUX


SCÈNOGRAPHIE

LUCA ANTONUCCI
PROJET


CRÉATION MUSICALE
OLIVIER INNOCENTI


CRÉATION SONORE
FLORENT DALMAS


CRÉATION LUMIÈRES
MATTHIEU FERRY


COSTUMES
DELPHINE TREANTON


CHORÉGRAPHIE
FABIO DOLCE

 

AVEC

MANON CLAVEL

SYLVAIN DEBRY

MÉGANE FERRAT

BENJAMIN GAZZERI GUILLET

JEAN-BAPTISTE LE VAILLANT

MARIE-CHRISTINE LETORT

ALEXANDRE MANBON

SIMON REMBADO

LE THÉÂTRE ET LA VIBRATION DU VIVANT 
Enfant, je ne comprenais pas pourquoi, dès que je posais un pied sur une scène toutes mes relations aux autres s’intensifiaient soudainement, pourquoi les mots gagnaient en épaisseur, en musicalité. Tous les enjeux devenaient clairs et puissants. 
Depuis, ce que je traque sur scène est du domaine de la vibration. Je suis passionné par cette réunion qu’est la représentation théâtrale durant laquelle des gens viennent sonder l’âme humaine, expérimenter le partage et la transcendance, célébrer la vie. Je suis très attentif à tout ce qui témoigne de la puissance de la vie et de ses mouvements sur une scène. La pièce d’Elisabeth Bouchaud et de Florient Azoulay rend hommage à ces moments de grâce chez l’homme qui tendent à la communion, qui dépassent les limites mêmes du vivant, et qui ouvrent les portes de l’universel, de l’invisible. 
Comme la recherche des scientifiques dans leur laboratoire, pour moi, la représentation théâtrale, est une expérience commune, où acteurs et spectateurs s’unissent, chacun à sa place, dans l’exploration d’un mystère à découvrir. Si, bien sûr, on projette des hypothèses, personne ne sait pourtant vraiment à l’avance ce qui va se révéler ni pour soi-même, ni collectivement. Si les règles de jeu sont bien posées, restent les paramètres nouveaux, chaque soir : la réunion de ces humanités va-t-elle opérer ? Sera-t-elle salvatrice ? L’inattendu, toujours caché dans l’obscurité de ce qui se joue, en filigrane, entre les mots, derrière les mots, entre les corps, électrisera-t-il le présent ? Le doute finira-t-il par se dissiper ? … Même si la pièce est complexe et réclame une technique sophistiquée, les acteurs doivent acquérir une grande disponibilité au présent et à ses accidents pour ne pas perdre ce lien organique à l’expérience collective en train de s’accomplir.
Ce qui est particulièrement troublant dans notre pièce, c’est que ceux qui semblent détenir des réponses, disparaissent avec leurs visions avant de dévoiler leur secret. Ici, comme dans la matière, tout est lié. C’est dans les collisions et leurs répercussions, dans les interactions plus que dans les éléments eux-mêmes qu’il faudra observer des réponses. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tant l’observation des êtres comme autant de particules dans un atome, mais la manière dont ils forment une matière, un système, en interagissant entre eux ; c’est tout le système de flux, d’énergies qui vibrent entre les êtres ; et comment les pensées, les mouvements d’un tel influent, déplacent, intentionnellement ou pas, un proche ou quelqu’un qui vit siècle plus tard, une personne (une femme ici en l’occurrence) qui lui est parfaitement inconnu. Ce qui m’intéresse ici, c’est donc la question de l’héritage ; comment l’engagement de nos pairs continue de circuler en nous, et ce que nous faisons de cette énergie. 
CHERCHEURS… 
Majorana 370 est donc une expérience artistique sur des chercheurs scientifiques. Cette mise en abyme est révélée dès les premières phrases : « Je suis Laura Fermi. Enfin je suis la comédienne qui va jouer Laura Fermi ». 
D’un côté, il y a la précision du processus à tenir pour parvenir à un résultat supposé, et de l’autre, la porosité aux accidents du présent (qui concourent à modifier les paramètres de l’expérience théâtrale). Ces facultés d’expérimentateurs, les jeunes comédiens que j’ai choisis parmi mes anciens élèves du CNSAD, avec lesquels je suis entré en recherche artistique depuis plusieurs années, les possèdent. Ils sont exercés à exister sur scène par et pour l’autre ; à être sensibles à l’espace qui les relie, à le laisser résonner. C’est une recherche sur le jeu de l’acteur qui s’accorde parfaitement à la recherche sur les particules de ce groupe de jeunes gens « les Ragazzi di via Panisperna ». 
PLASTICITÉ DU SON, DE LA MATIÈRE, DE L’ESPACE… 
Les corps, les rythmes, les voix, les mouvements, les musiques et le son dans l’espace produisent une énergie, une sensation, une écoute que je cherche active chez le spectateur. Cette attention aux différents paramètres de jeu, de spatialisation du son et de la matière s’inscrit dans la vie même du spectacle et dans son propos. 
Le récit de ces destinées humaines se déploie en plusieurs espaces-temps qui se superposent, se confrontent ou se conjuguent. Avec Luca Antonucci, qui signe sa quatrième scénographie avec moi, nous avons opté pour une scénographie accompagnant la plasticité recherchée : un décor permettant de modifier à souhait la réalité rencontrée par le spectateur. Plutôt que de changer de décor à chaque scène (créant des espaces autonomes), nous ancrons la représentation dans un lieu apparemment unique à la fois très reconnaissable et possiblement abstrait – réaliste et mental. Ce lieu varie mais ne change pas. Ainsi tout reste en résonance. 
Créer un univers, un milieu qui, dans son chaos apparent, dévoile peu à peu sa cohérence interne. 
Tout est lié et interdépendant dans ce monde inventé : on passe d’une époque à une autre en un claquement de doigts. On se déplace sur le globe terrestre en rapides glissements d’ardoises magiques. Et toutes ces réalités sont reliées dans une écriture visuelle, vibratoire, dynamique dont les signes convergent vers le spectateur qui, seul, a la clef pour saisir l’écho et donc le sens d’une action entamée il y a 90 ans et poursuivie de nos jours par un autre personnage. 
L’ESPACE POUR SERVIR LA CONSTRUCTION DRAMATURGIQUE DU TEXTE
Ainsi, tout tourne autour de ce lieu unique cher aux scientifiques : une salle blanche. C’est le laboratoire dans lequel Cléia travaille sur les particules de Majorana. Ce lieu tout blanc et épuré lui offre un espace vierge pour y projeter ses souvenirs, ses rêves, ses obsessions et ses hantises.
Sans perdre l’espace du personnage de Cléia travaillant à sa table de recherche, nous pourrons, par des jeux de superpositions ou de glissements, nous retrouver dans l’avion du vol MH370 ou encore dans un hôtel ou un marché, voire dans plusieurs lieux en même temps… L’imaginaire du spectateur porté par ce décor mouvant est sollicité et mis en déséquilibre.
Le son musicalisé, les voix naturelles, les voix sonorisées, texturées, enregistrées, tout cet univers sonore flottant ou contrastant contribuera aussi à soit guider soit troubler à souhait ces voyages spatiotemporels. Cette plasticité oriente le spectateur et lui permet de suivre l’écriture labyrinthique de l’oeuvre, sans toutefois tout lui expliquer.
MYTHOLOGIE , HISTOIRE ET SCIENCE
Cléia, un an après la disparition de son épouse, Carine, dans le vol MH370 de la Malaysian Airlines, vient de récupérer les plans, les objets de l’architecte dans lesquels elle ne reconnait pas la femme qu’elle a aimée. Elle est dans son laboratoire et cherche à quel moment le destin de sa femme lui a échappé. Elle se souvient… Et voilà que nous entrons dans le monde intérieur de Cléia comme on entre dans le Labyrinthe de Minos. Nous marchons avec elle sur les traces de l’épouse disparue, à la recherche du Minotaure qui l’a dérobée. Au bout des couloirs qui débouchent parfois sur des réponses, d’autres fois sur des impasses, ou derrière des miroirs déformant la réalité passée, voici qu’apparaissent les êtres qui ont nourri Cléia dans sa vocation de physicienne, ses héros auxquels elle prête une aura quasi mythologique – Ettore Majorana, Enrico Fermi et les Ragazzi – fleurons de la jeunesse scientifique italienne, « soutenus » par Mussolini au début des années 30, livrés en pâture aux monstres de leur époque. Tous ces revenants, dans ce même dédale croisent leurs destinées avec celle de Cléia, dans la tourmente du deuil.
UNE EXPÉRIENCE OPÉRATIQUE ET EXISTENTIELLE
« Il ne s’agit pas seulement de mots ou de musique, c’est toute une gamme d’éléments qui se rassemblent et qui font quelque chose qui n’existait pas auparavant. C’est raconter des histoires. C’est concevoir un monde, une expérience, que les gens ne peuvent pas avoir à moins de voir ce film ».
David Lynch
Au-delà même de la partition sonore et musicale complexe, subtile et contemporaine, de mes proches collaborateurs Olivier Innocenti et Florent Dalmas (cinquième collaboration), c’est tout le spectacle qui ira dans une dynamique symphonique et chorégraphique, à l’énergie collective créatrice d’évènements, d’inattendus, de flottements, de silences, d’emballements et d’espaces-temps qui se cumulent, s’enchaînent, se cognent… Cette pièce est une véritable partition collective. Les acteurs alternent en permanence entre un travail de choristes et un travail de solistes qui déstabilisent sans cesse et mènent à l’oubli de soi.
« Je ne crois pas que les gens acceptent le fait que la vie n’a pas de sens, ça les rend mal à l’aise ».
David Lynch
Comme les acteurs, le spectateur oscillera, comme on peut le trouver chez David Lynch ou dans les propositions artistiques de Simon Mac Burney, entre rêve et réalité, réalisme et fantasmagorie, corps et idée, matière et esprit, à la charnière de la vie et de la mort, du conscient et de l’inconscient, à l’endroit où se jouent les questions existentielles. Au bout du compte, le spectateur se voit dans l’obligation de lâcher prise, les acteurs de se donner au temps présent, incapables de résoudre un si grand mystère tous seuls mais conscients de participer à l’écriture collective d’une histoire qui en fonde une autre, puis une autre, à l’infini.

 

SI LA VIE N’A PAS DE SENS, LE POÉTIQUE PEUT QUELQUE CHOSE…
Le théâtre et la science se font-ils écho pour dire qui nous sommes ? C’est un sujet passionnant.
Ce qui distingue Ettore Majorana de tous les autres mathématiciens géniaux du siècle dernier et le rend fascinant, c’est cette transcendance, cette faculté impérieuse de voir derrière les murs, de révéler au monde ce qui lui est dérobé. Il était un scientifique poète dans une époque où le monde basculait. La guerre, la bombe nucléaire, l’énergie atomique… il est un destin, à mi-chemin entre le réel et la fiction, le passé et l’avenir…
Il était un artiste des chiffres et des formules qui pouvait lire au-delà du perceptible, fondateur d’aujourd’hui, mémoire des hommes de sciences, aimant Pirandello et, au-delà des frontières établies, mêlant dans sa réflexion les mathématiques et la physique, la poésie et la philosophie.
Majorana 370 est une expérience en hommage au génie, aux aspérités et aux mystères d’un jeune homme très à part : Ettore Majorana.
Xavier Gallais

LE TEXTE

La disparition d’Ettore Majorana a sans doute suscité autant de questions que la décision de Rimbaud d’arrêter d’écrire : comment peut-on être créatif à ce degré-là et s’arrêter brutalement, à jamais ?
Question corollaire : y a-t-il, quelque part, un trésor de calculs théoriques inédits, de prédictions qui pourraient changer le cours de la science ?
Nous avons voulu donner la parole à Ettore Majorana, retracer le chemin qui l’a mené de Naples à Palerme, puis on ne sait où. Nous avons voulu comprendre ce personnage insaisissable et génial, et éclairer ainsi les raisons de sa fuite. S’est-il, tel Icare, envolé du labyrinthe qu’était devenue sa vie ?
Nous avons associé sa destinée à celle d’un couple de femmes du vingt-et-unième siècle, dont l’une travaille en physique du solide à isoler des particules de Majorana, et l’autre, architecte, se rend à Kuala Lumpur, à la recherche de son enfance perdue. Hélas, elle prendra le Boeing de la Malaysian Airlines qui devait la conduire à Pékin, et qu’on n’a jamais retrouvé.
Disparitions en écho, donc, énigmatiques et tragiques, à l’instar de toutes celles que le fascisme et le nazisme allaient engendrer par millions dans l’Europe des années trente et quarante.
Florient Azoulay et Elisabeth Bouchaud

 

TEXTE
FLORIENT AZOULAY
ET
ÉLISABETH BOUCHAUD

 

MISE EN SCÈNE
XAVIER GALLAIS

 

ASSISTANTE MISE EN SCÈNE
SANDRINE DELSAUX

 

SCÈNOGRAPHIE
LUCA ANTONUCCI
PROJET

 

CRÉATION MUSICALE
OLIVIER INNOCENTI

 

CRÉATION SONORE
FLORENT DALMAS

 

CRÉATION LUMIÈRES
MATTHIEU FERRY

 

COSTUMES
DELPHINE TREANTON

 

CHORÉGRAPHIE
FABIO DOLCE

 

AVEC

 

MANON CLAVEL

SYLVAIN DEBRY

MÉGANE FERRAT

BENJAMIN GAZZERI GUILLET

JEAN-BAPTISTE LE VAILLANT

MARIE-CHRISTINE LETORT

ALEXANDRE MANBON

SIMON REMBADO

LE THÉÂTRE ET LA VIBRATION DU VIVANT 
Enfant, je ne comprenais pas pourquoi, dès que je posais un pied sur une scène toutes mes relations aux autres s’intensifiaient soudainement, pourquoi les mots gagnaient en épaisseur, en musicalité. Tous les enjeux devenaient clairs et puissants. 
Depuis, ce que je traque sur scène est du domaine de la vibration. Je suis passionné par cette réunion qu’est la représentation théâtrale durant laquelle des gens viennent sonder l’âme humaine, expérimenter le partage et la transcendance, célébrer la vie. Je suis très attentif à tout ce qui témoigne de la puissance de la vie et de ses mouvements sur une scène. La pièce d’Elisabeth Bouchaud et de Florient Azoulay rend hommage à ces moments de grâce chez l’homme qui tendent à la communion, qui dépassent les limites mêmes du vivant, et qui ouvrent les portes de l’universel, de l’invisible. 
Comme la recherche des scientifiques dans leur laboratoire, pour moi, la représentation théâtrale, est une expérience commune, où acteurs et spectateurs s’unissent, chacun à sa place, dans l’exploration d’un mystère à découvrir. Si, bien sûr, on projette des hypothèses, personne ne sait pourtant vraiment à l’avance ce qui va se révéler ni pour soi-même, ni collectivement. Si les règles de jeu sont bien posées, restent les paramètres nouveaux, chaque soir : la réunion de ces humanités va-t-elle opérer ? Sera-t-elle salvatrice ? L’inattendu, toujours caché dans l’obscurité de ce qui se joue, en filigrane, entre les mots, derrière les mots, entre les corps, électrisera-t-il le présent ? Le doute finira-t-il par se dissiper ? … Même si la pièce est complexe et réclame une technique sophistiquée, les acteurs doivent acquérir une grande disponibilité au présent et à ses accidents pour ne pas perdre ce lien organique à l’expérience collective en train de s’accomplir.
Ce qui est particulièrement troublant dans notre pièce, c’est que ceux qui semblent détenir des réponses, disparaissent avec leurs visions avant de dévoiler leur secret. Ici, comme dans la matière, tout est lié. C’est dans les collisions et leurs répercussions, dans les interactions plus que dans les éléments eux-mêmes qu’il faudra observer des réponses. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tant l’observation des êtres comme autant de particules dans un atome, mais la manière dont ils forment une matière, un système, en interagissant entre eux ; c’est tout le système de flux, d’énergies qui vibrent entre les êtres ; et comment les pensées, les mouvements d’un tel influent, déplacent, intentionnellement ou pas, un proche ou quelqu’un qui vit siècle plus tard, une personne (une femme ici en l’occurrence) qui lui est parfaitement inconnu. Ce qui m’intéresse ici, c’est donc la question de l’héritage ; comment l’engagement de nos pairs continue de circuler en nous, et ce que nous faisons de cette énergie. 
CHERCHEURS… 
Majorana 370 est donc une expérience artistique sur des chercheurs scientifiques. Cette mise en abyme est révélée dès les premières phrases : « Je suis Laura Fermi. Enfin je suis la comédienne qui va jouer Laura Fermi ». 
D’un côté, il y a la précision du processus à tenir pour parvenir à un résultat supposé, et de l’autre, la porosité aux accidents du présent (qui concourent à modifier les paramètres de l’expérience théâtrale). Ces facultés d’expérimentateurs, les jeunes comédiens que j’ai choisis parmi mes anciens élèves du CNSAD, avec lesquels je suis entré en recherche artistique depuis plusieurs années, les possèdent. Ils sont exercés à exister sur scène par et pour l’autre ; à être sensibles à l’espace qui les relie, à le laisser résonner. C’est une recherche sur le jeu de l’acteur qui s’accorde parfaitement à la recherche sur les particules de ce groupe de jeunes gens « les Ragazzi di via Panisperna ». 
PLASTICITÉ DU SON, DE LA MATIÈRE, DE L’ESPACE… 
Les corps, les rythmes, les voix, les mouvements, les musiques et le son dans l’espace produisent une énergie, une sensation, une écoute que je cherche active chez le spectateur. Cette attention aux différents paramètres de jeu, de spatialisation du son et de la matière s’inscrit dans la vie même du spectacle et dans son propos. 
Le récit de ces destinées humaines se déploie en plusieurs espaces-temps qui se superposent, se confrontent ou se conjuguent. Avec Luca Antonucci, qui signe sa quatrième scénographie avec moi, nous avons opté pour une scénographie accompagnant la plasticité recherchée : un décor permettant de modifier à souhait la réalité rencontrée par le spectateur. Plutôt que de changer de décor à chaque scène (créant des espaces autonomes), nous ancrons la représentation dans un lieu apparemment unique à la fois très reconnaissable et possiblement abstrait – réaliste et mental. Ce lieu varie mais ne change pas. Ainsi tout reste en résonance. 
Créer un univers, un milieu qui, dans son chaos apparent, dévoile peu à peu sa cohérence interne. 
Tout est lié et interdépendant dans ce monde inventé : on passe d’une époque à une autre en un claquement de doigts. On se déplace sur le globe terrestre en rapides glissements d’ardoises magiques. Et toutes ces réalités sont reliées dans une écriture visuelle, vibratoire, dynamique dont les signes convergent vers le spectateur qui, seul, a la clef pour saisir l’écho et donc le sens d’une action entamée il y a 90 ans et poursuivie de nos jours par un autre personnage. 
L’ESPACE POUR SERVIR LA CONSTRUCTION DRAMATURGIQUE DU TEXTE
Ainsi, tout tourne autour de ce lieu unique cher aux scientifiques : une salle blanche. C’est le laboratoire dans lequel Cléia travaille sur les particules de Majorana. Ce lieu tout blanc et épuré lui offre un espace vierge pour y projeter ses souvenirs, ses rêves, ses obsessions et ses hantises.
Sans perdre l’espace du personnage de Cléia travaillant à sa table de recherche, nous pourrons, par des jeux de superpositions ou de glissements, nous retrouver dans l’avion du vol MH370 ou encore dans un hôtel ou un marché, voire dans plusieurs lieux en même temps… L’imaginaire du spectateur porté par ce décor mouvant est sollicité et mis en déséquilibre.
Le son musicalisé, les voix naturelles, les voix sonorisées, texturées, enregistrées, tout cet univers sonore flottant ou contrastant contribuera aussi à soit guider soit troubler à souhait ces voyages spatiotemporels. Cette plasticité oriente le spectateur et lui permet de suivre l’écriture labyrinthique de l’oeuvre, sans toutefois tout lui expliquer.
MYTHOLOGIE , HISTOIRE ET SCIENCE
Cléia, un an après la disparition de son épouse, Carine, dans le vol MH370 de la Malaysian Airlines, vient de récupérer les plans, les objets de l’architecte dans lesquels elle ne reconnait pas la femme qu’elle a aimée. Elle est dans son laboratoire et cherche à quel moment le destin de sa femme lui a échappé. Elle se souvient… Et voilà que nous entrons dans le monde intérieur de Cléia comme on entre dans le Labyrinthe de Minos. Nous marchons avec elle sur les traces de l’épouse disparue, à la recherche du Minotaure qui l’a dérobée. Au bout des couloirs qui débouchent parfois sur des réponses, d’autres fois sur des impasses, ou derrière des miroirs déformant la réalité passée, voici qu’apparaissent les êtres qui ont nourri Cléia dans sa vocation de physicienne, ses héros auxquels elle prête une aura quasi mythologique – Ettore Majorana, Enrico Fermi et les Ragazzi – fleurons de la jeunesse scientifique italienne, « soutenus » par Mussolini au début des années 30, livrés en pâture aux monstres de leur époque. Tous ces revenants, dans ce même dédale croisent leurs destinées avec celle de Cléia, dans la tourmente du deuil.
UNE EXPÉRIENCE OPÉRATIQUE ET EXISTENTIELLE
« Il ne s’agit pas seulement de mots ou de musique, c’est toute une gamme d’éléments qui se rassemblent et qui font quelque chose qui n’existait pas auparavant. C’est raconter des histoires. C’est concevoir un monde, une expérience, que les gens ne peuvent pas avoir à moins de voir ce film ».
David Lynch
Au-delà même de la partition sonore et musicale complexe, subtile et contemporaine, de mes proches collaborateurs Olivier Innocenti et Florent Dalmas (cinquième collaboration), c’est tout le spectacle qui ira dans une dynamique symphonique et chorégraphique, à l’énergie collective créatrice d’évènements, d’inattendus, de flottements, de silences, d’emballements et d’espaces-temps qui se cumulent, s’enchaînent, se cognent… Cette pièce est une véritable partition collective. Les acteurs alternent en permanence entre un travail de choristes et un travail de solistes qui déstabilisent sans cesse et mènent à l’oubli de soi.
« Je ne crois pas que les gens acceptent le fait que la vie n’a pas de sens, ça les rend mal à l’aise ».
David Lynch
Comme les acteurs, le spectateur oscillera, comme on peut le trouver chez David Lynch ou dans les propositions artistiques de Simon Mac Burney, entre rêve et réalité, réalisme et fantasmagorie, corps et idée, matière et esprit, à la charnière de la vie et de la mort, du conscient et de l’inconscient, à l’endroit où se jouent les questions existentielles. Au bout du compte, le spectateur se voit dans l’obligation de lâcher prise, les acteurs de se donner au temps présent, incapables de résoudre un si grand mystère tous seuls mais conscients de participer à l’écriture collective d’une histoire qui en fonde une autre, puis une autre, à l’infini.

 

SI LA VIE N’A PAS DE SENS, LE POÉTIQUE PEUT QUELQUE CHOSE…
Le théâtre et la science se font-ils écho pour dire qui nous sommes ? C’est un sujet passionnant.
Ce qui distingue Ettore Majorana de tous les autres mathématiciens géniaux du siècle dernier et le rend fascinant, c’est cette transcendance, cette faculté impérieuse de voir derrière les murs, de révéler au monde ce qui lui est dérobé. Il était un scientifique poète dans une époque où le monde basculait. La guerre, la bombe nucléaire, l’énergie atomique… il est un destin, à mi-chemin entre le réel et la fiction, le passé et l’avenir…
Il était un artiste des chiffres et des formules qui pouvait lire au-delà du perceptible, fondateur d’aujourd’hui, mémoire des hommes de sciences, aimant Pirandello et, au-delà des frontières établies, mêlant dans sa réflexion les mathématiques et la physique, la poésie et la philosophie.
Majorana 370 est une expérience en hommage au génie, aux aspérités et aux mystères d’un jeune homme très à part : Ettore Majorana.
Xavier Gallais

LE TEXTE

La disparition d’Ettore Majorana a sans doute suscité autant de questions que la décision de Rimbaud d’arrêter d’écrire : comment peut-on être créatif à ce degré-là et s’arrêter brutalement, à jamais ?
Question corollaire : y a-t-il, quelque part, un trésor de calculs théoriques inédits, de prédictions qui pourraient changer le cours de la science ?
Nous avons voulu donner la parole à Ettore Majorana, retracer le chemin qui l’a mené de Naples à Palerme, puis on ne sait où. Nous avons voulu comprendre ce personnage insaisissable et génial, et éclairer ainsi les raisons de sa fuite. S’est-il, tel Icare, envolé du labyrinthe qu’était devenue sa vie ?
Nous avons associé sa destinée à celle d’un couple de femmes du vingt-et-unième siècle, dont l’une travaille en physique du solide à isoler des particules de Majorana, et l’autre, architecte, se rend à Kuala Lumpur, à la recherche de son enfance perdue. Hélas, elle prendra le Boeing de la Malaysian Airlines qui devait la conduire à Pékin, et qu’on n’a jamais retrouvé.
Disparitions en écho, donc, énigmatiques et tragiques, à l’instar de toutes celles que le fascisme et le nazisme allaient engendrer par millions dans l’Europe des années trente et quarante.
Florient Azoulay et Elisabeth Bouchaud
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